Évoquer l’architecture marocaine, c’est souvent faire référence à ses nombreuses médinas, ses luxueux riads ou encore ses magnifiques ksour en terre crue. Mais s’il y a bien une chose qui interpelle immédiatement le voyageur, c’est le nombre de bâtiments inachevés qui se distinguent par leurs armatures en fer dépassant du dernier étage.

Les quartiers aux abords des villes semblent en perpétuel chantier mais un œil attentif remarque immédiatement l’absence de machines, d’échafaudages et d’ouvriers. De ce fait ces multiples petits immeubles inachevés autour desquels se développe une vie intense laissent un sentiment étrange.

 

La première réaction de l’architecte c’est bien sûr l’incompréhension car au-delà de l’aspect esthétique discutable, il sait que des fers laissés trop longtemps en attente d’un nouvel étage rouilleront jusque dans les niveaux inférieurs mettant en danger l’ensemble de la structure. Mais ce qui l’étonnera encore davantage, c’est que ce phénomène touche également l’habitat privé et n’est pas limité aux abords des grandes villes. On le remarque partout : dans les petites cités, dans les villages, dans les champs, dans les montagnes, dans les plaines, bref, dans tout le pays ! 

 

L'habitat dominant marocain serait-il donc une construction inachevée ?

La réponse à cette question mérite d’être nuancée

Tout d’abord il faut rappeler que ce phénomène est caractéristique de nombreux pays africains mais aussi d’autres continents. La raison la plus couramment évoquée est fiscale. Il s’agit d’une sorte de tour de passe-passe consistant à ne pas déclarer la fin des travaux pour éviter de s’acquitter des taxes d’habitations et autre impôts fonciers. 

Quoi de mieux en effet pour prouver qu’un chantier n’est pas terminé que des ferraillages laissés à la vue de tous ?

A cette tentative de contourner la législation fiscale s’ajoute, au royaume chérifien, un facteur socio-économique lié aux matériaux de constructions. 

Aujourd’hui, le ciment, dans toutes ses déclinaisons, et, dans une moindre mesure, la brique de terre cuite, se sont largement répandus pour deux raisons principales : ces matériaux rendent possible la construction par étape (facteur économique) et, en les utilisant, les nouvelles générations, veulent s’émanciper des bâtiments traditionnels en terre, jugés trop « archaïques » et attester ainsi de leur réussite sociale (facteur sociétal).

Beaucoup choisissent d’investir dans la construction de leur maison en ciment mais leurs ambitions dépassent les économies immédiatement disponibles. Dans un pays où l’accès au crédit est très complexe pour la plus grande partie de la population, ces bâtisseurs font donc le choix de construire étape par étape, laissant les fers à nu dans l’espoir de réaliser un nouvel étage dès que leurs finances le permettront. « Inchalla » comme on dit ici : chaque petite épargne sera investie dans une brique et ainsi de suite 

Attester de sa réussite sociale en ayant construit ne serait-ce qu’une partie de la maison familiale est un motif de fierté. Laisser dépasser les fers est une manière de signaler que le chantier n’est pas fini mais aussi de se rappeler chaque jour pourquoi on économise. 

C’est un formidable symbole d’espoir : celui d’ériger un jour cette grande maison où la famille sera fière de recevoir ses invités pour partager le thé. 

La construction apparait ainsi comme le fruit du travail de toute une vie et la laisser un temps inachevée ouvre la route des possibles.

 

La construction apparait ainsi comme le fruit du travail de toute une vie et la laisser un temps inachevée ouvre la route des possibles.

Il est intéressant de souligner que si l’offre en matériaux de constructions, le plus souvent standardisés, est très limitée, les habitations ne manquent pas d’âme et ont toutes leur personnalité

Si après avoir déjà parcouru plus de 3000 km au Maroc nous devions nous risquer à théoriser, nous pourrions déjà distinguer deux grandes tendances. La première consiste à construire au plus vite l’ossature et les murs pour obtenir l’équivalent de notre hors d’eau et d’habiter peu à peu les pièces mises hors d’air. Dans ce cas, le second œuvre n’arrivera que très tardivement alors que la maison sera entièrement habitée. La deuxième tendance consiste à terminer entièrement un étage pour qu’il soit confortablement habitable, tout en préparant le terrain pour le prochain. Dans ce cas, la famille accepte d’habiter un temps dans des pièces d’une manière différente de celle prévue à la fin du chantier. On voit par exemple des salons installés derrière de grandes portes de garage.  Dans un cas comme dans l’autre, c’est donc un « work in progress » dans l’attente, plus ou moins longue, d’une fin incertaine.

Si le visiteur occidental s’inquiète de fers apparents qui mettent en danger la structure de l’immeuble, s’il pense à la nécessité d’isoler au mieux le logement et d’appliquer un second œuvre pour qu’il soit à la fois résistant, confortable et « joli », il ne doit donc jamais perdre de vue qu’au-delà de ces considérations strictement techniques chacune de ces constructions inachevées symbolise un formidable espoir !

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